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Mécanismes d’adaptation chez les enfants de Tourette

Mécanismes d'adaptation hautement sophistiqués chez nos SGT

L’une des questions, sinon la question la plus souvent posée par les parents ou intervenants auprès des enfants ayant un SGT est sans contredit la suivante: « SGT oui! mais… comment différencier ce qui appartient au SGT de ce qui appartient à l’enfant et sur lequel je dois intervenir? » Ma réponse est toujours et reste encore: L’enfant vit avec son SGT 24 heures sur 24, on ne peut pas véritablement dissocier l’un et l’autre mais, Tourette ou pas Tourette, on doit toujours intervenir sur des comportements socialement inacceptables. L’inacceptable étant, bien sûr, plus ou moins variable selon notre degré de tolérance, mais en général des comportements qui nuisent à autrui ou à soi-même ne seront jamais tolérés même si on a le SGT. Déroger d’une consigne ou transgresser une règle, par exemple, est somme toute moins grave que de frapper quelqu’un. On pourra certes plus facilement fermer les yeux sur le premier mais on ne devra jamais excuser le second au nom d’une pathologie bien que cette dernière puisse peut être en partie l’expliquer. Ce qui changera, c’est notre lecture de ses manifestations qu’on pourra cesser de percevoir comme un affrontement délibéré ou comme des attaques personnelles (juste pour nous faire suer). On tentera alors de trouver avec le jeune une solution pour endiguer le comportement, pour changer les paramètres de l’environnement qui en favorisent sa manifestation.

Justement, pour me permettre de dissocier les comportements tourettes de ceux qui ne le sont pas, depuis quelques années, je fais remplir un questionnaire aux parents et aux professionnels qui doivent intervenir auprès d’un enfant atteint du SGT. Dans l’une des rubriques, je demande qu’on distingue les comportements perturbateurs que l’on juge relever du SGT (colonne de gauche) de ceux qui n’en relèvent pas (colonne de droite). La compilation de tous ces questionnaires qui reflètent le profil de plusieurs enfants SGT est éloquente. Dans la colonne de gauche, j’y trouve bien sûr toute la panoplie des symptômes du SGT: tics moteurs, tics sonores, obsessions, compulsions, coprolalie, copropraxie, etc… Dans la colonne de droite par contre, je retrouve presqu’invariablement les mêmes comportements inadéquats soit disant « non Tourette » que ces enfants utilisent dans un fort pourcentage et qui dépassent largement ce qu’on observe dans la population en générale. C’est pourquoi, finalement, je les considère presque comme « une constituante associée au Tourette sans en être directement une caractéristique symptomatologique. Ces comportements sont nombreux et servent souvent de moyens «adaptatifs » pour que l’enfant atteint du SGT en arrive à ses fins. L’idée d’écrire sur ces comportements m’est venue d’une éducatrice d’un centre d’accueil qui avait pris la peine d’énumérer assez exhaustivement toutes les stratégies utilisées par le jeune Tourette auprès de qui elle intervenait. Laissez-moi vous dire que le jeune est passé maître dans l’artillerie qu’il déploie quand il veut obtenir quelque chose. Plusieurs parents reconnaîtront sans doute quelques-unes des «munitions» fréquemment utilisées par leur propre enfant qui présente un SGT et dont voici quelques exemples.

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La manipulation

Sont-elles assez futées ces « petites pestes » pour nous faire jouer du sentiment; du grand théâtre quoi! Il en est même qui se rendront aux menaces de suicide pour enfoncer le poids de la culpabilité qu’on ressent déjà assez lourdement d’être responsable de leurs agirs et impuissant à les en soulager. De plus, ces enfants ont une très grande sensibilité et sont particulièrement doués pour venir toucher la corde sensible, nous atteindre dans nos vulnérabilités, entrer dans nos limites voire les dépasser le plus souvent. On dirait presqu’un sixième sens qu’ils ont pour nous rentrer dedans. Alors, vaut peut-être mieux concéder qu’ils sont si manipulateurs parce qu’ils ont le SGT ou exacerbés par celui-ci; et par conséquent, qu’il est plus difficile de les changer. Ce faisant, il devient plus facile de les contourner parce que ces manipulations ne nous atteignent plus ou ne nous irritent plus autant.

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La provocation

L’enfant ou le jeune agace souvent l’autre pour voir comment il réagit, pour voir le spectacle de la colère de l’autre, pour se divertir. Le plus souvent, c’est par manque de jugement ou de discernement qu’il en viendra à faire ce qu’il n’avait d’abord considéré que « comme un blague ». C’est parfois le « plaisir » de nous surprendre, de nous impressionner, bien plus que le vil désir de déplaire quoique c’est à cela que ça aboutit. Alors, peut être travaillerons-nous sur le développement d’un bon jugement chez notre jeune plutôt que de s’irriter à le voir si provocateur et à vouloir le changer.

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Le harcèlement

L’objet du désir devient parfois si obsédant pour lui qu’il n’aura de cesse dans ses demandes que lorsque, épuisé, nous aurons fini par céder. Comme disait l’éducatrice avec une fort belle image: « la méthode du disque qui saute ». On pourrait contourner son propre harcèlement en lui proposant le nôtre concernant nos exigences auxquelles il n’a pas répondu. Cela a l’avantage de le replacer dans sa réalité et la nôtre.

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La crise

La crise est au fond, une forme extrême de manipulations. L’enfant pleure, crie, insulte, menace, donne des coups de poing… pour nous faire céder. Elle se distingue de la rage (phénomène de plus en plus reconnu comme l’une des manifestations possible du SGT) en ce que cette dernière est vraiment reliée à une perte de contrôle et dont l’enfant ne peut avoir souvent qu’un vague souvenir de ce qui l’a déclenchée (pour quelques pistes de solution, voir un numéro antérieur de l’Info SGT).

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L'argumentation

C’est l’arme favorite de nos enfants dans l’art duquel ils sont passés maîtres. Ils ont toujours de bonnes raisons pour nous convaincre de la nécessité impérative de leurs demandes ou pour rejeter toutes formes de tentative de rationalisation de notre part. Ils reprennent, en leur faveur, des arguments qu’on leur avait déjà servis, ils nous mettent en échec parce que l’on vient hors de soi. C’est souvent l’escalade de deux « raisons » qui s’affrontent et qui dégénèrent en conflit insoluble. Vaut mieux ne pas alimenter cette argumentation en restant le plus mutique possible ou en passant les guides au conjoint ou à un autre intervenant.

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La confabulation

D’autre l’appelleront mensonge mais j’ai eu des beaux « cas » spectaculaires de confabulation pour expliquer un retard, pour rendre compte d’un échec, pour se rendre intéressant, pour divertir son auditoire, pour… éviter la punition. Souvent, le jeune en viendra même à se croire tellement il fait preuve d’imagination débordante frisant le réalisme. Comme l’exagération ou le sens du spectacle peut être assez développé chez le Tourette, ils dépasseront d’un tout petit peu la coche de la réalité et voilà que tout leur beau discours deviendra non crédible, nous irritera et nous entraînera dans une nouvelle escalade de confrontations. Alors, pourquoi ne pas faire comme si on le croyait; (il va dégonfler, diminuer l’extravagance) et, l’on pourra en profiter dans ce climat moins hostile pour lui refiler nos propres valeurs. Il sera alors plus réceptif à les accueillir.

Finalement, il y a bien d’autres stratégies dans leur arsenal, mais si on considère tout cet éventail de comportements inadéquats comme des manifestations de son syndrome plutôt que des tares personnelles, nous pourrons contourner ces obstacles plus facilement dans une meilleure disposition d’esprit et nous les prendrons avec beaucoup plus de philosophe et ce sera beaucoup moins irritant de part et d’autre.

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Par Francine Lussier, Ph. D. Neuropsychologue Directrice des activités cliniques et scientifiques au Centre de formation CENOP Inc. Professeure associée au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)

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