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La rage chez les enfants Tourette

Le dernier symposium sur le SGT qui a eu lieu à Québec a donné lieu à de véritables échanges entre les divers professionnels de la santé et de l’éducation. Il avait définitivement l’envergure d’un événement international et plusieurs sommités dans le domaine s’y sont retrouvées. Comme promis, je ferai un résumé de quelques-unes des conférences les plus pertinentes pour le meilleur profit des lecteurs de notre journal. Dans le présent article je commencerai par l’une des présentations qui m’a le plus intéressée, celle des docteurs Budman, Bruun, et Ajauro, sur le phénomène de la rage puisque c’est un problème qui nous est souvent rapporté par les parents d’enfant SGT à l’Hôpital Ste-Justine.

Selon ces auteurs, des épisodes explosives de rage se produiraient dans un nombre significatif d’enfants et d’adolescents (25 à 30 %) atteints de SGT. Ces symptômes sont difficiles à traiter, ils entraînent de considérables perturbations dans le milieu familial comme dans le milieu social ou scolaire et peuvent même amener à un placement dans certains cas.

La rage est une explosion catastrophique très soudaine qui atteint un sommet facilement; elle est récurrente (revient épisodiquement), incontrôlable et se produit de manière inattendue. Souvent déclenchée par un événement insignifiant (un crayon rouge au lieu d’un bleu par exemple), elle amène rapidement à un seuil de frustration démesurée vis-à-vis duquel il n’y a plus rien à faire pour arrêter l’enfant qui perd complètement le contrôle de soi. L’enfant s’en prendra généralement à des objets à proximité, il peut même aller jusqu’à défoncer des murs mais rarement il attaquera les autres durant sa crise. L’événement déclencheur est perçu par l’enfant lui-même comme une agression ou même une provocation de son milieu, alors que le milieu lui, interprète souvent l’expression de la rage comme une provocation ou une manipulation de l’enfant pour obtenir des bénéfices secondaires. Ce phénomène garde un caractère très primitif qui n’appartient pas véritablement à la personnalité de l’enfant. C’est pourquoi on observe fréquemment une amnésie après la crise; l’enfant ou l’adolescent ne sait pas pourquoi il a fait ça, il en éprouve du remords ou au contraire il nie le phénomène de manière à se rassurer lui-même contre quelque chose qui ne semble pas lui appartenir. Quelques fois des signes somatiques discrets accompagnent ces crises et pourraient donc être détectés avant que celles-ci n’éclatent.

L’étiologie des symptômes de la rage est inconnue; cependant, les données de la recherche suggèrent qu’ils refléteraient un trouble neurocomportemental relié à la sévérité des désordres associés plus particulièrement l’hyperactivité, le déficit d’attention et les symptômes obsessionnels-compulsifs; la sévérité des tics moteurs et sonores serait par ailleurs plus faible chez ces individus.

Les auteurs rapportent qu’il s’agirait d’une dysfonction cérébrale, notamment à cause d’un dérèglement neurochimique au niveau du cortex préfrontal, de l’hypothalamus et/ou des noyaux amygdaliens (système limbique). Dans des recherches expérimentales, on sait que la stimulation des noyaux amygdaliens entraînent en effet la peur, l’agressivité et l’amnésie. On retrouve un modèle animal similaire dans le syndrome de Clüver Bucy chez le singe. Un faible taux de sérotonine serait associé à des phénomènes de violence accrue mais d’autres neurotransmetteurs pourraient aussi être impliqués (dopamine et noradrénaline). Le phénomène de la rage, est cependant mal compris et difficile à traiter. Des approches pharmacologiques avec les inhibiteurs de la recapture de sérotonine seraient toutefois efficaces dans certains cas; d’autres molécules ont été essayées (rispéridone, clomipramine, néfazodone, carbamazépine, valproate de lithium) avec un certain succès; des approches cognitivo-comportementales ont également été tentées dans le groupe d’enfants que les chercheurs suivaient à Long Island dans une classe spéciale de trouble de comportement dont plusieurs avaient un SGT.

Selon les auteurs, certains enfants ayant un SGT auraient une hypersensibilité à différents stimuli tactiles, olfactifs, lumineux, sonores… qui provoquerait une réponse physiologique et qui, à son tour, déclencherait une réaction comportementale catastrophique. L’enfant ressent alors une perte du contrôle de soi qui entraîne une inquiétude encore plus grande dans la perception qu’ont les autres de soi et qui le place dans une plus grande vulnérabilité aboutissant à un sentiment d’incompétence de plus en plus grand vis-à-vis ses comportements : être moi devient nécessairement quelque chose de négatif. On pourrait ici rappeler une recherche avec des animaux soumis à des chocs électriques distribués au hasard qui avaient fini par ne plus avoir de réaction de fuite ne sachant jamais à quoi pouvaient être attribués ces stimuli nociceptifs (douloureux). La spirale ascendante vers une détérioration de plus en plus importante de ses relations avec son environnement aura pour effet à son tour d’augmenter le sentiment d’incompétence et de vulnérabilité des intervenants eux-mêmes sur la maîtrise de ces comportements; les mesures disciplinaires seront alors de plus en plus contraignantes et augmenteront encore plus la vulnérabilité du jeune. C’est, dans notre langage populaire, un cercle vicieux.

Les auteurs proposent une répartition de la vulnérabilité entre celle de l’enfant et celle des intervenants; accepter de devenir plus vulnérable pour l’intervenant (c’est à dire accepter certains comportements qu’on refuserait en d’autres temps), c’est s’approcher un peu plus de l’enfant. L’enfant accroîtra son estime de soi, il aura accès à une meilleure opinion de lui-même, à une diminution de sa propre vulnérabilité. Il pourra alors commencer à construire progressivement un sentiment de plus grand pouvoir vis-à-vis de ses pertes de contrôle par une autogestion progressive de ses comportements. La spirale sera ainsi inversée.

Ce type d’intervention doit se faire simultanément à la maison, à l’école, dans les activités sociales. Un système de soutien à l’enfant doit être amorcé pour réduire sa vulnérabilité et pour rehausser le fonctionnement de l’enfant. Par exemple, si on accepte la manifestation d’un symptôme ou qu’on tolère une attitude qu’on réprouverait peut-être chez un autre individu mais qui, compte tenu de la vulnérabilité de notre enfant GT, peut être acceptable, on risque d’apaiser l’enfant et, ainsi, de réduire le symptôme. Plus on tente de contrôler le symptôme plus on risque au contraire que ne s’accentue le symptôme.

L’une des stratégies pour changer un comportement consiste à établir une liste des symptômes les plus détestables et à cibler celui qu’on souhaiterait changer; il faut en outre expliquer à l’enfant pourquoi il devrait être changé et l’aider à trouver comment il pourrait le changer. On peut aussi aider l’enfant à identifier les éléments déclencheurs, offrir un lieu de retrait ou d’isolement sans que celui-ci ne soit interprété comme une punition. On doit aussi, comme intervenant, développer une plus grande tolérance face aux comportements indésirables; le plus souvent, il faut trouver des stratégies de modification de l’environnement pour faciliter l’extinction du comportement plutôt que de viser la modification comme tel du comportement.

Par Francine Lussier, Ph. D. Neuropsychologue Directrice des activités cliniques et scientifiques au Centre de formation CENOP Inc. Professeure associée au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)

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