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Éduquer un enfant Tourette

Introduction

Depuis quelques années, j’ai pris la défense sans réserve des enfants atteints du syndrome de Tourette et de leurs parents souvent écrasés par les critiques qui fusent de toutes parts sur leur manière d’éduquer leur enfant. Je crois encore qu’il est utile et nécessaire de le faire; par contre, je ne souhaiterais pas qu’on en arrive à penser que l’enfant a tous les droits et tous les privilèges du simple fait qu’il a un SGT.

Éduquer un enfant Tourette, c’est d’abord éduquer un enfant, mais c’est aussi reconnaître les limites qu’entraîne cette pathologie. « Élever un enfant, écrit Marie Gratton, c’est l’aider à donner sa pleine mesure, à l’arracher à son égocentrisme naturel, à développer sa capacité d’entrer en relation avec les autres, à ouvrir son intelligence aux merveilles du monde(…) à devenir une personne humaine dans un monde sans cesse menacé par la barbarie ordinaire individuelle ou collective.[1] » Elle fait ensuite le procès de l’enfant-roi et de tous les méfaits que celui-ci peut engendrer non seulement dans l’immédiat au sein de la famille mais aussi plus tard comme le tyran qu’il risque de devenir si on ne freine pas son égoïsme. Entre les « passe droit » que l’on doit inévitablement permettre à l’enfant Tourette et les exigences normales de toute éducation, je crois qu’il y a des interventions qui favorisent une meilleure évolution tout en évitant d’engendrer des enfants-rois. Je tenterai d’en esquisser quelques-unes des grandes lignes.

Bien encadrer l'enfant

Un encadrement ferme n’est pas nécessairement synonyme de règles strictes à respecter dont la transgression entraîne forcément une punition.

Un bon encadrement tient compte de la réalité de l’enfant et privilégie un aménagement de l’environnement matériel et humain qui facilite l’évolution du jeune tout en limitant les possibilités de transgression. Un exemple récent illustre le fait. Un garçon de 14 ans, dans un foyer de groupe mixte, avait développé des gestes outranciers et vulgaires à l’égard des filles (pour quelqu’un qui connaît bien le SGT, il était évident qu’il s’agissait chez lui de copopraxie, i.e. compulsion à faire des gestes obscènes). Par conséquent, il lui était à peu près impossible de modifier son comportement. Plus on lui interdisait de se comporter de la sorte avec les filles, plus il avait l’irrésistible envie de faire ces gestes indécents. Même avec des punitions de plus en plus sévères, il n’améliora pas son comportement se rendant même à la punition ultime : un internement à sécurité maximum. Il a fini par arrêter ces comportements quand il fut transféré dans une unité strictement réservée aux garçons. Il était lui même très soulagé de ne plus être sollicité par de telles obsessions. Il n’est cependant pas nécessaire de se retrouver dans des situations aussi extrêmes pour envisager d’aménager l’environnement.

En général, la première réaction que l’on a vis-à-vis l’enfant face à sa mauvaise conduite, c’est de lui expliquer clairement pourquoi il ne doit pas recommencer un tel comportement. Quelques fois, surtout si on considère qu’il a manqué de jugement, on ajoute une petite conséquence, question de le faire réfléchir un peu. Tout devrait rentrer dans l’ordre, du moins chez la plupart des enfants. Il semble bien que l’enfant qui a un SGT n’apprenne pas de ses erreurs comme tous les enfants. Il faut donc revenir plus souvent (on dirait sans cesse!) sur une même situation problématique (il finira bien par apprendre!). Ça fini par nous irriter, d’autant plus qu’il nous donne la nette impression qu’il le fait par exprès (un vrai provocateur, c’est évident!). Et oui! On dirait bien que la provocation fait partie du SGT au même titre qu’une parole ou un geste obscène. On ne comprend pas encore pourquoi, dans le SGT, c’est comme ça. Il faut donc rapidement se rendre compte que le jeune ou l’enfant est lui même dépassé par son comportement inadéquat et souvent même très malheureux de son incapacité à répondre aux exigences du parent ou de l’adulte même s’il ne le manifeste pas nécessairement.

Il faut d’abord essayer d’analyser ce qui, dans l’environnement physique ou humain, fait obstacle et peut être modifier pour faciliter la vie de notre enfant tout en lui évitant de se retrouver en situation d’échec. Quelques fois il suffit de créer ou de modifier un horaire, changer ou aménager le lieu physique, ajouter une aide technique etc.… Quelques fois, il suffit tout simplement d’un détail à changer (remplacer les bibelots en verre taillé par un joli panier de fleurs séchées qui ne risque pas la catastrophe dans l’effervescence de réaction colérique). Quelques fois, je le reconnais, il faut réfléchir longtemps pour trouver la solution; il est parfois nécessaire de faire une bonne discussion avec tous les membre de la famille ou les divers intervenants en évitant tout procès de l’enfant; il faut chercher des solutions sans toujours compter sur les seules ressources de l’enfant. Il faut alors trouver pour lui et avec lui, une solution qui l’aidera à trouver un équilibre autrement qu’en enfonçant toujours davantage le clou de sa responsabilité vis-à-vis de laquelle il ne se sent aucun pouvoir.

Avoir des exigences claires, constantes mais souples

La plupart des enfants découvrent de manière intuitive ce qui se fait ou ne se fait pas en société. Il développe un respect humain qui lui sert de balise pour émettre ou non un comportement selon l’environnement social dans lequel il se retrouve. Avec un enfant atteint du SGT, il est souvent nécessaire de lui expliquer ce qui est socialement acceptable et ce qui ne l’est pas. Il semble manquer de jugement à cet égard. Combien de fois ne l’avez vous pas entendu vous dire « je l’savais pas! » Même après que vous lui ayez expliqué. Il arrive souvent qu’il récidive (on dirait bien qu’ils ont une mémoire sélective ces enfants là puisqu’ils se rappellent si bien une récompense promise). Il faut donc répéter souvent et surtout être constant dans ses exigences. Quelques fois par contre nos attentes de ce qui est acceptable ou non ne sont pas toujours réalistes par rapport aux capacités de l’enfant. Il faut donc s’ajuster aux limites de l’enfant et discerner ce qui nuit véritablement à autrui ou à soi-même de ce qui n’est qu’une mauvaise habitude. Par exemple, une engueulade tous les matins parce que l’enfant ne se brosse pas les dents peut être inutilement épuisante et peut engendrer une mauvaise humeur (autant sur l’un que sur l’autre) qui retentira toute la journée. Une visite plus régulière chez le dentiste qui se fera lui même le défenseur de l’hygiène de votre enfant peut avoir un impact bien plus persuasif que tout ce que vous auriez pu tenter de lui dire pour le convaincre.

Limiter les choix

Une maman qui avait décidé de faire plaisir à son garçon avait décidé de l’emmener au restaurant de son choix le jour de son anniversaire. Quelle ne fut pas sa déception de se retrouver dans un champ de bataille avant même d’avoir quitté la maison. Quand on vit avec un enfant atteint du SGT, on se rend compte rapidement qu’il faut éviter d’offrir une multitude de choix qui risque de dégénérer en un véritable affrontement. (Et dire que vous aviez voulu lui faire plaisir!). On essaiera donc de limiter à deux choix possibles. Comme cela, l’enfant a l’impression qu’il garde un certain pouvoir de décision mais il n’est pas confronté à toutes sortes de choix qui l’attirent tous et constituent pour lui un véritable dilemme. De plus, on diminue de beaucoup l’argumentation possible.

Diminuer les interactions avec les pairs

Certains enfants atteints du SGT entretiennent des relations difficiles avec les pairs. Soit qu’ils passent rapidement à l’offensive par toutes sortes de provocations auprès des autres enfants, soit qu’ils deviennent bouc émissaire et sont rejetés des pairs. Dans le premier cas, on aura vite identifié chez le jeune des troubles du comportement et on serait tenté de l’orienter dans des classes d’enfants T.C. (en trouble de comportement). L’expérience clinique nous a souvent démontré au contraire une détérioration des comportements dans ce genre d’environnement parce qu’ils y sont sur-stimulés et sont facilement entraînés à reproduire les comportements inadéquats d’autrui (échopraxie). Dans ces cas, il faut plutôt envisager une classe à petit effectif (donc des classes de troubles d’apprentissage) même si les enfants n’ont aucun retard académique.

Dans le second cas, où l’enfant tient plutôt un rôle de bouc émissaire, il faut sensibiliser la classe à ce qu’est le SGT et ce qu’il entraîne chez l’enfant atteint. Des vidéos sont disponibles à l’Association. Des parents ou des professionnels qui connaissent bien le syndrome pourraient alors être invités pour venir faire une causerie avec les enfants de la classe afin expliquer cette maladie si étrange.

Par Francine Lussier, Ph. D. Neuropsychologue Directrice des activités cliniques et scientifiques au Centre de formation CENOP Inc. Professeure associée au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)

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