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Modèles génétiques ou développementaux

Cherchant à expliciter la transition entre le fonctionnement cérébral d’un «illettré » et celui d’un « lecteur compétent », les modèles développementaux s’orientent vers la description des types de stratégies que le sujet doit apprendre à maîtriser pour acquérir le savoir lire.

L’un des modèles bien connus est celui de Frith (1985) qui s’inspire directement de considérations philogénétiques. Cette linguiste a en effet identifié dans l’histoire des langues que certaines s’appuyaient exclusivement sur un système logographique telle le chinois tandis que d’autres reposaient sur un système alphabétique, permettant par exemple la transcription phonographique du serbo-croate en alphabet cyrillique. D’autre part, les langues occidentales, telles le français ou l’anglais utilisaient selon elle très largement un système orthographique, combinant des caractéristiques morphologiques et phonologiques souvent très complexes. Trois stratégies de lecture sont ainsi identifiées, correspondant aux procédures requises pour la maîtrise de chacune de ces formes d’écrit :

1. la stratégie logographique qui assure la reconnaissance globale et contextuelle de certains mots familiers mais ne permet aucune généralisation;

2. la stratégie alphabétique qui s’appuie sur l’identification de graphèmes disposés en séquence et transposés en phonèmes selon le même ordre dans lequel on les entend dans le langage parlé, mais qui ne permet pas le décodage des mots irréguliers;

3. la stratégie orthographique dans laquelle des groupements de lettres sont reconnus visuellement et combinés entre eux pour former des mots avec le support de la sémantique verbale accélérant ainsi le processus de lecture. À ce niveau, les représentations lexicales des mots familiers deviennent directement accessibles.

Frith en conclut que l’acte de lire aussi bien que d’écrire s’acquiert tout au long du développement de l’enfant grâce à la maîtrise successive de ces trois stratégies. De plus, elle émet l’hypothèse que la lecture et l’orthographe se développent en décalage de phase, servant à tour de rôle de stimulateur au développement de la stratégie suivante. Tout se passerait comme si la lecture donnait l’impulsion pour la stratégie logographique, l’écriture pour la stratégie alphabétique et la lecture à nouveau pour la stratégie orthographique.

Ce modèle qui semble en effet traduire fidèlement la progression des habiletés de maîtrise du langage écrit chez un lecteur « moyen » ne rend pas compte toutefois des anomalies très particulières qui peuvent être observées tant en lecture qu’en dictée chez des sujets dyslexiques. Chez ces derniers, il semble évident en effet que les six étapes de Frith ne se mettent pas en place dans un ordre strictement séquentiel et qu’elles ne peuvent notamment expliquer les difficultés considérables d’un grand nombre de dyslexiques à utiliser une stratégie alphabétique dans le décodage de non-mots, alors même que leurs stratégies orthographiques se révèlent passablement fonctionnelles.

D’autres modèles tels celui que Seymour et al (1989) ont mis au point en s’inspirant des théories de Frith, semblent beaucoup plus représentatifs de la réalité des troubles de nature dyslexique, en supprimant la causalité directe qui reliait les trois stades entre eux de façon linéaire.

Ainsi, l’actualisation du stade orthographique serait tout autant la résultante des stratégies logographique qu’alphabétique. Ces deux dernières pourraient ainsi se développer concurremment. Comme le présumait Frith, l’accès au stade orthographique reposerait donc bien sur la compétence du traitement phonologique qui permet de prononcer des séquences de lettres particulières comme des syllabes. Mais il requerrait aussi la capacité logographique d’identifier visuellement ces sous-ensembles de caractères comme des structures stables, globalement reconnaissables d’un seul coup d’œil. Selon ce modèle, la dyslexie se caractériserait essentiellement par une difficulté à maîtriser les stratégies orthographiques requises pour accéder tant à une lecture fluide qu’à une production écrite respectueuse des règles. De plus, ce modèle rend mieux compte des deux types de dyslexies habituellement identifiés: la dyslexie « phonologique » qui entrave la mise en place initiale des stratégies alphabétiques et donc la capacité de lire et d’orthographier des non-mots et la dyslexie « lexicale » qui entrave la reconnaissance visuelle des formes logographiques impliquées notamment dans la lecture des mots dits « irréguliers », tels « femme » ou « second » et ne laisse souvent au sujet que la possibilité de les écrire au son « fam », « cegon »…

Par Francine Lussier, Ph. D. Neuropsychologue Directrice des activités cliniques et scientifiques au Centre de formation CENOP Inc. Professeure associée au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)

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