Nouvelle proposition d’un modèle
L’expérience clinique nous démontre, comme l’avait observé Rourke, que des enfants qui possèdent d’excellentes habiletés verbales éprouvent pourtant des difficultés majeures en arithmétique. L’examen des fonctions neuropsychologiques démontre fréquemment que le traitement visuo-spatial fait défaut chez ces enfants et parait expliquer un certain nombre de leurs difficultés en mathématiques. Une étude récente a d’ailleurs mis en relation l’excellence des habiletés spatiales chez les enfants gauchers surdoués en mathématiques (Rueckert et Levy, 1995). Les auteurs suggèrent un développement supérieur de l’hémisphère droit rehaussant les habiletés pour la réussite de tâches visuo-spatiales. Une autre explication suggérait une meilleure communication entre les deux hémisphères puisque, chez la plupart des gauchers, on avait aussi observé un épaississement du corps-calleux. Selon ces auteurs, cette structure qui relie les deux hémisphères jouerait un rôle dans le transfert et la coordination entre les habiletés symboliques et analytiques de l’hémisphère gauche et les habiletés de représentation spatiale de l’hémisphère droit.
Il est donc essentiel de considérer cette dimension spatiale pour expliquer entre autres les erreurs de calcul dans des cas d’héminégligence où le traitement des nombres les plus à gauches ne sont pas pris en compte dans les procédures mais ces cas sont extrêmement rares chez l’enfant. Il reste cependant un grand nombre de situations où la considération de l’espace est essentielle à la réalisation d’équations. Qui a déjà enseigné au primaire sait combien il est difficile d’enseigner la notion de « plus grand que » ou « plus petit que » à certains enfants à cause de la directionnalité du symbole.
L’apprentissage des procédures ou algorithmes doit lui-même procéder par repérage spatial (on prend les deux premiers nombres situés à droite dans la colonne… on place la retenue au dessus de…). Il y a aussi toute la notion des nombres fractionnaires qui ne se comprend bien qu’à partir d’une représentation visuo-spatiale, et dont l’enseignement est si ardu. La compréhension des nombres négatifs s’effectue également sur une droite numérique (par définition orientée). Outre le fait de l’appréhension immédiate (subitizing) sur de petits nombres (ou même sur des grands nombres chez certains enfants autistiques dont les capacités visuo-spatiales ont été largement démontrées), il y a tout le domaine de l’approximation ou de l’estimation qui s’effectue généralement grâce aux fonctions d’hémisphère droit et qui sont nécessaires à la maîtrise des habiletés mathématiques. S’il est vrai que la maîtrise des faits arithmétiques s’effectue généralement par l’apprentissage par coeur d’une séquence verbale qui s’automatise (deux fois deux quatre, deux fois trois six…) et n’a besoin d’aucune représentation spatiale, c’est seulement grâce à la représentation spatiale qu’on peut en comprendre l’origine. En effet, le produit de 2,5 par 4 s’exprime par la surface d’un rectangle de deux unités et demi de largeur par quatre unités de longueur dont le décompte donne 10. C’est d’ailleurs cette stratégie qu’on recommande aux enfants qui se montrent récalcitrants face à l’apprentissage des tables. Les tables d’additions s’effectuent également par l’entremise d’un tableau à double entrée.
On le voit ici, il apparaît donc utile d’intégrer au modèle cognitiviste la dimension spatiale qui n’a été considérée ni par McCloskey, ni par Sokol et à peine effleurée par Dehaene. Pour tenir compte de cette dimension spatiale, nous proposons un nouveau modèle qui s’appuie sur ceux qui ont été proposés pour expliquer la dysphasie et la dyspraxie.