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Approche en neuropsychologie cognitive

Insatisfaits aussi bien des rapprochements anatomo-cliniques que des conclusions tirées des études de groupes ou de cas uniques pour expliquer les mécanismes sous-jacents dans les diverses formes de troubles de calcul observés chez les patients, Sokol et ses collaborateurs (1994) ont emprunté le modèle de traitement numérique issu de la neuropsychologie cognitive chez l’adulte (M. Closkey et al., 1985) pour l’adapter à la dyscalculie développementale. Il devient alors possible de décortiquer les différentes composantes impliquées et d’en définir un lexique très particulier à cette manipulation de chiffres et de nombres.

Le modèle de Sokol établit une première distinction entre les mécanismes de traitement numériqueet les mécanismes de calcul. Dans les mécanismes de traitement numérique, le modèle distingue encore un mécanisme de compréhension numérique et un mécanisme de production numérique. Le premier est utilisé pour convertir les données numériques en une représentation sémantique nécessaire au traitement ultérieur à travers des procédures de calcul. Le second traduit les représentations sémantiques de nombres ayant subi une transformation par les procédures de calcul en une nouvelle forme spécifique. Les systèmes de compréhension et de production numériques se subdivisent à leur tour pour traiter les nombres arabes (e.g. 127) et les nombres verbaux (e.g. cent vingt-sept). À l’intérieur de chacun des modules de compréhension et de production numérique, Sokol fait encore la distinction entre le traitement lexical et le traitement syntaxique aussi bien dans la numération verbale que dans la numération arabe.

Le traitement lexical réfère à la compréhension et à la production des éléments primitifs au nombre de 25 dans le système verbal français et de 9 dans le système arabe (voir le sous-titre « Développement du calcul chez l’enfant » dans la présente section). Le traitement syntaxique est constitué des règles qui président à l’ordonnancement des éléments primitifs pour signifier la valeur d’un nombre; le système de notation arabe est strictement positionnel puisque la valeur du nombre dépend de la position que le chiffre occupe dans la suite (861 ¹ 681 ¹ 186 etc); le système de notation verbale comprend une syntaxe qui permet de générer toutes et uniquement les expressions verbales acceptables de quantités (quatre cents correspond à quatre fois cent et cent quatre correspond à cent plus quatre). Le transcodage, c’est à dire le passage d’une forme numérique verbale à une forme numérique arabe et vice versa se fait de manière bi-univoque. Finalement, le système de numération verbale (mais non arabe) comprend un mécanisme de traitement phonologique pour les nombres entendus et un mécanisme de traitement graphémique pour les nombres écrits [2] .

Au traitement numérique qui s’effectue à travers un système de compréhension et de production des nombres, s’opposent les mécanismes de calcul permettant d’opérer sur les nombres. Ces mécanismes se regroupent en trois principales unités. II y a d’abord le traitement symbolique des opérations imposé par l’usage des symboles graphiques (+, -, x, ÷) et des symboles lexicaux (plus, moins, multiplier, diviser) ; les algorithmes des opérations correspondent aux règles et procédures d’exécution pour obtenir la résultante (somme, différence, produit, quotient) de l’opération (en addition de dizaines ou de centaines par exemple : commencer par les chiffres de la 1ère colonne d’extrême droite, poser le chiffre des unités et placer la retenue au-dessus de la 2ème colonne des dizaines…) ; le modèle comporte enfin les faits arithmétiques (tables de multiplication et d’addition) requis pour automatiser et effectuer rapidement les procédures.

Ce modèle a l’avantage de pouvoir fractionner les différentes composantes du système du traitement du calcul en sous systèmes et, ce faisant, il permet d’expliquer les déficits spécifiques de certains sous-systèmes observés chez des patients alors que d’autres sous-systèmes sont préservés. Sokol illustre par quelques cas cliniques des dissociations qu’il a pu observer chez ses propres patients ; il démontre, par exemple, l’indépendance entre le processus du traitement numérique et la procédure de calcul puisque l’un peut être touché et l’autre intacte chez un patient mais le phénomène inverse se retrouve chez un autre patient. De telles dissociations ont également été trouvées entre la production et la compréhension numériques, entre les traitements numériques arabe et verbal de même qu’entre le traitement lexical et syntaxique. Dans les mécanismes de calcul, des dissociations ont été démontrées entre la compréhension des symboles d’opération et les autres habiletés de calcul, entre la récupération des faits arithmétiques et l’exécution des algorithmes, entre les résultats du calcul et les approximations (Pour une revue voir Sokol et al., 1994). Temple (1995) a par ailleurs démontré chez un de ses patients que la lecture des nombres était sélectivement touchée alors la lecture des mots était intacte. La démonstration de ces dissociations dans les acquisitions d’habiletés en mathématiques plaide en défaveur d’une évolution par stades successifs, comme le prétend le modèle piagétien, au profit d’une organisation modulaire du système arithmétique.

Quoique très attrayant pour expliquer un certain nombre de cas d’enfants qui présentent des troubles du calcul, ce modèle laisse en arrière-plan toutes les erreurs qui résultent des problèmes visuo-spatiaux dans d’autres cas. Sokol et ses collaborateurs avaient d’ailleurs utilisé une population d’enfants qui étaient tous dyslexiques mais qui présentaient aussi des problèmes de calcul évacuant ainsi toute la population clinique dont les problèmes de calcul seraient plutôt relatifs à l’hémisphère droit.

À la suite des travaux de McCloskey, Dehaene (1992) ajoutera un nouvel ensemble modulaire qui tiendra compte des activités numériques de quantification reposant sur la comparaison des nombres, l’appréhension immédiate (subitizing) et les approximations. Selon Dehaene, la représentation des quantités existerait aussi sous une forme analogique. C’est à partir de cette prémisse qu’il conceptualisera une nouvelle architecture fonctionnelle pour le traitement des nombres et du calcul, en y introduisant la notion de codes : l’un serait visuel arabe, un autre verbal auditif et finalement un troisième, analogique. Le code visuel arabe permettrait les calculs écrits (procédures) et le jugement de parité (l’exactitude). Le code verbal auditif jouerait un rôle dans le comptage (dénombrement) et le stockage des séquences verbales propres aux tables de multiplication et d’addition. Enfin, le code analogique représenté par une droite numérique autoriserait les comparaisons numériques, les approximations et l’appréhension immédiate de la valeur d’un nombre. Dehaene a pu mettre en évidence l’indépendance du code analogique en décrivant un patient qui, ayant perdu toute connaissance précise des nombres et des opérations, avait néanmoins conservé la capacité d’approximation des valeurs. Dans l’équation 2 + 2 =?, il est incapable de trouver 4 mais peut rejeter la proposition 9 (beaucoup trop distante de la vraie réponse) et accepter la proposition 5. Le modèle de Dehaene vient ajouter une nouvelle dimension au modèle de McCloskey repris par Sokol (1994) mais, comme eux, il laisse en suspens toute la dimension visuo-spatiale (ou les afférences tactiles permettant de faire des inférences spatiales dans les cas de cécité) nécessaire à la maîtrise de nombreuses habiletés en mathématiques (géométrie plane, géométrie analytique, trigonométrie, disposition spatiale des algorithmes.

Par Francine Lussier, Ph. D. Neuropsychologue Directrice des activités cliniques et scientifiques au Centre de formation CENOP Inc. Professeure associée au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)

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