Autisme: apport de la psychologie développementale et de l’évaluation neuropsychologique
L’intérêt de pouvoir poser un diagnostic précoce a entraîné la création d’un nombre non négligeable d’échelles et de questionnaires, visant à cerner au plus près la symptomatologie des autistes. Les secteurs de la vie relationnelle y occupent naturellement une place importante de même que l’observation systématique des comportements du sujet. Citons à ce sujet l’évaluation cognitivo-sociale multidimensionnelle d’Adrien et al. (1992) permettant d’établir un profil développemental de l’enfant, l’échelle d’évaluation des comportements autistiques de Lelord et Barthelemy (1989) et l’échelle d’évaluation de l’autisme infantile de Schopler et al (1988). Bernadette Rogé (1999) rapporte aussi utiliser l’ADI (Autism Diagnostic Interview) et l’ADOS (Autism Diagnostic Observation Schedule), dont elle compléterait actuellement la traduction française.
Par ailleurs, les critères-diagnostic proposés au DSM-IV étant conçus de façon générale, quel que soit l’âge du sujet, Deborah Fein (1999) a proposé dernièrement une adaptation en fonction de l’âge des enfants. Il est à noter que dans les colonnes de droite (2 à 4 ans), on retrouve les caractéristiques qui sembleraient les plus souvent symptomatiques de cette pathologie, en fonction de l’âge du sujet, tel que proposé par Fein, à la lumière des travaux de Lord* (1995) et de ceux de Stone** (1994).
En ce qui concerne l’évaluation psychologique proprement dite, Fein insiste, comme Rogé d’ailleurs, sur l’importance que l’examinateur soit bien familiarisé avec ce type de clientèle pour être à même de solliciter au maximum la participation de l’enfant et d’adapter le milieu physique aux besoins de celui-ci. En plus de l’échelle de Vineland requise pour l’évaluation du niveau d’adaptation sociale du sujet évalué, Fein préconise l’usage d’une épreuve d’intelligence, surtout non verbale (telle le Leiter International Scale), ainsi que l’utilisation de tâches diversifiées de langage sous la forme d’inventaires de développement, afin de quantifier le niveau de vocabulaire réceptif et expressif ainsi que d’évaluer finement les capacités de communication de l’enfant. Ces dernières épreuves ne nous paraissent pas disponibles en français: Communication and Symbolic Behavior Scale de Wetherby and Prizant, 1993 (Riverside Publishing co.) et MacArthur Communicative Development Inventories de Fenson and al. (San Diego – Singular publishing group. inc.).
Quant à Bernadette Rogé (1993), elle signe un remarquable article concernant l’importance des adaptations requises lors de l’examen neuropsychologique des sujets autistes, au risque de « dénaturer fortement la situation de test ». Seule en effet « une procédure par essais et erreurs au cours de laquelle le praticien teste les hypothèses qu’il est amené à faire face aux réactions du sujet qu’il examine » (p. 167) peut apaiser celui-ci et l’amener à participer pleinement aux activités qui lui sont proposées.
Il est bon par ailleurs d’avoir une connaissance de l’évolution normale de leur symptomatologie. Ainsi, en général, on peut dire qu’à partir de 5-6 ans, un grand nombre d’autistes présentent une amélioration substantielle de leurs capacités de communication langagière et non verbale comparativement à leur fonctionnement antérieur, notamment quant à la capacité de regarder l’interlocuteur en face. Selon Mottron (1994) il serait par contre plus difficile de modifier par la rééducation des comportements répétitifs. De plus, certains symptômes, tels que les rituels et la restriction des champs d’intérêt, auraient même plutôt tendance à s’aggraver avec l’âge, ce qui est en soi la résultante de leur rigidité cognitive et comportementale.
Une réduction progressive de certains symptômes entre 6 et 14 ans n’élimine donc pas le diagnostic antérieur d’autisme, car elle refléterait simplement la transformation développementale propre à la symptomatologie autistique. Cependant, malheureusement, il ne serait pas rare d’assister à une détérioration de l’état mental des sujets, au moment de l’adolescence ou encore lorsque l’autisme s’accompagne d’une maladie proprement dégénérative (surtout s’il y a aggravation des lésions cérébrales). Rappelons aussi à cet effet que l’autisme est assez fréquemment associé à d’autres pathologies médicales. Ainsi, un autiste intelligent dont le langage ne se développe pas, souffre-t-il très probablement d’un trouble spécifique du langage, en plus de sa problématique. Inversement un sujet autistique peut aussi obtenir un quotient verbal plus élevé que le non verbal, sans être pour autant un Asperger. C’est sa faiblesse au sous-test Compréhension qui les distinguera habituellement en plus de sa force aux tâches visuo-constructives (Cubes).
Comme pour les sujets Asperger, précédemment décrits, on peut concevoir un profil-type du fonctionnement intellectuel des autistes à partir de l’épreuve de Wechsler. Celle-ci n’est toutefois bien sûr utilisable qu’auprès des sujets ayant un potentiel intellectuel suffisant pour être soumis à ce genre d’épreuves.
On constate que, parmi les sous-tests verbaux le sous-test Compréhension se trouve être le plus affecté, ce qui reflète naturellement les pauvres capacités d’empathie de ces sujets. Par contre, leur meilleur score est obtenu aux Similitudes, comme on l’observe fréquemment chez les sujets dysphasiques, possiblement en raison de la structure répétitive des énoncée (Comment se ressemblent…?)
Par ailleurs, à l’échelle non verbale, c’est la bonne réussite aux Cubes qui apparaît nettement les démarquer, comparativement aux autres sous-tests non verbaux, même les Assemblages d’objets. Shah et Frith (1993) font d’ailleurs de cette habileté un véritable « marqueur de l’autisme », contrairement aux Asperger. Pring et al (1995) attribuent cette facilité à un talent particulier, propre à ces individus et souvent même indépendant de leur niveau intellectuel, talent qui leur permettrait de décomposer rapidement les gestalts des modèles à reproduire en éléments séparés. Ces auteurs ont pu constater par ailleurs que les étudiants doués pour les arts graphiques jouissaient habituellement de ce même talent naturel.
C’est cette facilité d’analyse qui expliquerait de la même façon la fréquence de « l’oreille absolue » dans la population des autistes (Miller, 1989), ce talent leur permettant d’ailleurs généralement d’identifier chacune des notes constituant un accord musical. La rapidité de calcul mental observée chez certains d’entre eux proviendrait aussi éventuellement de leur exceptionnelle capacité à décomposer spontanément un nombre en ses constituants.
À ce sujet, il est intéressant de rapporter que la prévalence des « capacités spéciales » toucherait près de 10 % des sujets autistes, ce qui apparaît considérable, d’autant plus qu’on retrouverait dans ce groupe un grand nombre de sujets présentant des déficits langagiers et des comportements sociaux tout à fait inappropriés. Bien qu’il s’agisse souvent de forces relatives plutôt qu’absolues, certains individus peuvent manifester réellement des talents plus grands que la moyenne des individus « normaux ». Talent naturel ou sur-entraînement, il est encore difficile de trancher.
Les particularités nettement séquentielles du traitement des informations par ces enfants autistes caractériseraient également leurs performances au niveau des tâches de mémoire. Ainsi, Minshew et al (1992) ont mis en évidence que dans une tâche d’apprentissage de 15 mots telle le California Verbal Learning test, le matériel ne serait encodé que de façon littérale, respectant systématiquement l’ordre de présentation des items et que les sujets n’utiliseraient jamais spontanément les caractéristiques sémantiques des mots pour en faciliter la mémorisation. Mottron et Belleville (1994 b) interprètent ce déficit comme une véritable dysfonction sémantique, amenant les autistes à tenir compte des caractéristiques sonores des mots au dépens de leur signification. Par contre, leurs capacités de consolidation seraient intactes et ils font d’ailleurs généralement preuve d’une bonne capacité d’attention soutenue, lorsqu’il est possible de les mobiliser sur une activité d’écoute. Leur empan de chiffres serait d’ailleurs généralement plus élevé que ce qui est attendu pour leur niveau de fonctionnement.
Par Francine Lussier, Ph. D.
Neuropsychologue
Directrice des activités cliniques et scientifiques au Centre de formation CENOP Inc.
Professeure associée au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)