Langage et dysphasie
Sans prétendre se substituer à l’évaluation orthophonique qui reste indispensable pour préciser le diagnostic du trouble spécifique de langage en cause, l’évaluation neuropsychologique peut détecter la présence d’éléments dysphasiques et distinguer l’importance de l’atteinte réceptive par rapport à l’atteinte expressive par exemple. Si dans l’ensemble, les problèmes de langage expressif sont plus rapidement constatés par l’absence de productions verbales ou les marqueurs de déviances au sein de celles ci (phonémiques, morpho-syntaxiques, lexicale ou pragmatiques), les problèmes de langage réceptifs sont souvent subtils, voire masqués par des évitements, et ne peuvent précisément être remarqués que par une investigation systématique. Cette recherche d’éléments dysphasiques sera d’autant plus importante pour l’enfant plus vieux (8 ans et plus) chez qui personne n’avait détecté de faille parce qu’il se débrouillait assez bien dans le contexte du langage nécessaire aux activités quotidiennes ou chez qui la présence d’un plurilinguisme (langue maternelle différente de la langue utilisée en classe) paraissait de prime abord expliquer les difficultés scolaires observées.
Le langage expressif est plus généralement évalué par l’orthophoniste à qui l’enfant a été référé en raison même de son problème; par contre, si celui-ci est suffisamment discret, l’enfant ne sera pas même investigué en orthophonie et son trouble ne sera donc pas détecté. Par le neuropsychologue, le langage est examiné à travers le discours spontané et dans le discours induit (produit sur demande). On juge de sa qualité formelle (l’articulation, la phonétique, la syntaxe) tout autant que de la qualité de l’organisation discursive, de l’élaboration de sa pensée et du vocabulaire qu’il utilise spontanément dans la formulation de ses réponses. On recherche la présence d’indices pathologiques (lenteur d’évocation, utilisation abusive de paraphasies sémantiques ou phonémiques, de néologismes, de circonlocutions, de persévérations lexicales…). On mesure formellement le vocabulaire expressif par des tests de dénomination, avec indices ou non, qui exigent du sujet qu’il nomme l’image qui lui est présentée (ex.: Vocabulaire en images s de Beery). L’épreuve de dénomination rapide automatisée, le RAN test (Rapid Automatised Naming), permet de voir la rapidité d’accès au lexique généralement automatisé ; il comprend cinquante stimuli cibles pour chacune des 4 conditions (le nom de 5 couleurs, de 5 chiffres, de 5 lettres, de 5 mots connus), distribués aléatoirement et disposés en rangée que le sujet doit évoquer le plus rapidement possible. L’enfant dysphasique (tout comme l’enfant dyslexique) met généralement plus de temps à terminer cette épreuve. On détermine sa facilité d’accès lexical par une épreuve classique de fluidité verbale durant laquelle l’enfant doit, dans un temps donné, produire le plus de mots possibles appartenant à une catégorie sémantique donnée (condition sémantique) ou selon une lettre prédésignée par laquelle les mots doivent obligatoirement commencer (condition phonémique) pour le comparer ensuite à un échantillon normatif (fluidité verbale Lussier, 1996) ; l’enfant dysphasique réussit souvent plus facilement la condition sémantique possiblement en s’appuyant sur des évocations dans le registre visuelbien que les deux conditions soient généralement sous la moyenne.
Le langage réceptif est d’abord, comme le langage expressif, globalement examiné à travers l’ensemble de tous les échantillons verbaux, que ceux-ci proviennent des tâches intellectuelles ou de l’échange spontané que le clinicien entretient avec son patient. L’enfant comprend-il rapidement les consignes? fait-il répéter? en dehors d’une défaillance de raisonnement, ses réponses sont-elles pertinentes, c’est à dire en lien direct avec l’énoncé ou simplement tangentielles? En plus des sous tests verbaux propres aux tests d’intelligence, des épreuves formelles sont toujours utilisées pour juger des capacités de compréhension et d’intégration verbale de l’enfant selon son âge. Différentes images ou formes lui sont proposées comme choix de réponses possibles à un énoncé exclusivement verbal (compréhension des concepts de base de Boehm; Test des Jetons de Dudley-Delage). On doit vérifier chez l’enfant sa capacité d’intégrer simultanément plusieurs courts énoncés verbaux ne donnant accès qu’à une seule réponse possible, sa capacité de faire des inférences à partir d’une mise en contexte, sa capacité de se faire des représentations mentales à partir d’évocation d’expressions littérales ou métaphoriques (Test de simultanéité verbale de Flessas et Lussier, 1995); test d’aphasie du guide italien de Bisiach, Cappa et Vallar). Le vocabulaire réceptif est mesuré à l’aide de tâches de désignation où l’enfant doit pointer, parmi un ensemble d’images, celle qui correspond au mot qui lui est présenté oralement (vocabulaire en image de Peabody). Cette épreuve peut être comparée avec le vocabulaire expressif pour voir si l’enfant comprend mieux qu’il ne s’exprime ou vice versa.
Observation de l’enfant
Un examen métalinguistique plus fin est souvent pertinent. La perception phonémique est explorée au moyen d’une épreuve de discrimination phonémique au cours de laquelle l’enfant doit dire si deux syllabes entendues successivement sont identiques ou différentes pour les occlusives pa/ta, ka/ta, pa/ka, ba/da, ba/ga, da/ga (selon leur point d’articulation) ou pa/ba, ta/da, ka/ga (selon leur sonorité) et pour les constrictives fa/sa, sa/cha, fa/cha, va/za, za/ja, va/ja (selon leur point d’articulation) ou fa/va, sa/za, ja/cha (selon leur sonorité). Les capacités d’analyse phonologique peuvent être mesurées avec des tâches de comparaisons de rimes; l’enfant doit décider si deux mots présentés se terminent par le même son; l’épreuve est construite avec de vrais mots et des non-mots. La capacité d’accéder aux lexiques d’entrée, est explorée par des tâches de décisions lexicales où l’enfant doit décider si l’item est un mot ou non, incluant des mots concrets et des mots abstraits. La batterie psycholinguistique américaine (l’I.T.P.A.) normée pour les petits Québécois de 5 à 10 ans comprend: la discrimination auditive (ta Û da; pon Û bon) ou verbale (est-ce que les fourmis chantent? Est-ce que les soldats tuent?); la fusion auditive (ch-at = chat; i-r-on-d-el = hirondelle); le complètement auditif (télé-sion Þ télévision; cho-lat Þ chocolat). Des épreuves qualitatives (examen phonémique de Borel-Maisonny; Rosner) sont souvent tout aussi informatives que des épreuves normées telle la segmentation phonémique par extraction d’un phonème (répéter le mot bonjour sans dire bon Þ jour; le mot sable sans dire le son b Þ sale);. La pragmatique du langage peut être évaluer à l’aide d’énoncés absurdes dont le sujet doit détecter et expliquer l’incongruité.
Le langage écrit est étudié aussi bien dans son aspect réceptif (décodage et compréhension de lecture) que dans son aspect expressif (orthographe et production écrite). La dyslexie est la forme scolaire la plus évidente d’un problème de langage qui n’avait pas été détecté avant l’entrée à l’école.