Modèles neuro-anatomiques fonctionnels
Bien que quelques cas d’adultes ayant perdu l’usage de la lecture aient été rapportés dès l’antiquité, ce n’est que depuis une centaine d’années que des corrélations anatomo-cliniques ont permis d’établir la relation entre l’acte lexique et l’activité cérébrale, principalement celle de l’hémisphère gauche dominant pour le langage. C’est en effet Dejérine qui en 1892 présentait un premier cas d’alexie, qualifiée de perte spécifique des facultés de décodage du langage écrit, consécutive à une lésion acquise du cerveau. Le patient de Dejérine ayant une lésion clairement identifiable au niveau de la zone de jonction entre les lobes temporal et occipital de l’hémisphère gauche, un premier modèle anatomo-fonctionnel vit le jour, selon lequel la faculté de lire résulterait de l’interface entre la vision (lobe occipital) et le langage (lobe temporal). La poursuite de ces travaux exploratoires tout au long du 20ème siècle amena notamment Geschwind en 1965 à identifier d’autres zones cérébrales, apparemment tout aussi impliquées dans cette fonction. Geschwind fut alors à même d’évoquer un modèle d’interaction entre ces diverses zones, permettant d’illustrer la complexité des mécanismes cérébraux impliqués dans l’acte de lecture. Habib et Robichon (1996) le résument ainsi : l’information écrite arrive en premier lieu au niveau des aires visuelles primaires d’où elle converge vers les aires associatives visuelles de l’hémisphère gauche. De là, elle parvient au gyrus angulaire gauche, tout proche, plaque tournante entre le système visuel et les aires du langage. L’étape suivante se ferait dans l’aire de Wernicke, où s’établiraient les liens entre mot et concept sémantique. Le mot ayant subi un recodage phonologique et acquis un sens, serait transféré à l’aire de Broca qui programme les actes moteurs nécessaires à sa prononciation. De récentes recherches (Démonet, 1997) accordent également à cette aire de Broca un rôle prépondérant au cours du développement dans la mise en place des capacités de segmentation phonémique dont on reconnaît de plus en plus l’importance dans l’apprentissage de la lecture.
Avec le développement des techniques d’analyse structurale des hémisphères cérébraux, notamment de l’observation au microscope électronique au cours d’une autopsie, Galaburda et Kemper (1979) s’intéressèrent particulièrement à des sujets décédés accidentellement et reconnus antérieurement comme dyslexiques. Or, ils mirent en évidence chez la plupart de ces patients une latéralisation fonctionnelle anormale, se traduisant notamment par une absence d’asymétrie du planum temporale (partie supérieure du lobe temporal habituellement plus large dans l’hémisphère gauche). Bien que cette anomalie puisse être retrouvée aussi chez un certain nombre de sujets non-dyslexiques, l’association de celle-ci avec de nombreuses anomalies structurales sous forme de dysplasies et de multiples ectopies, (amas cellulaires en position anormale) renforçait grandement selon eux l’hypothèse d’une désorganisation anatomique des structures cérébrales. Celle-ci, d’étiologie possiblement dysgénétique, aurait donc entravé chez ces patients la mise en place des réseaux neuronaux complexes qui se constituent dans le cours habituel de la maturation cérébrale. Cette constatation confirmait par ailleurs l’hypothèse d’Orton (1925) qui supposait que les difficultés du dyslexique enfant pouvaient provenir d’un défaut dans l’établissement de la latéralisation hémisphérique.
On peut objecter que les études de Galaburda n’ont porté que sur un très petit nombre de patients dont le diagnostic de dyslexie n’a pu d’ailleurs être posé qu’à posteriori. Cependant, d’autres chercheurs tels Livingstone et al (1991) ont également rapporté la présence d’anomalies neuronales au niveau de la couche ventrale des corps genouillés latéraux. Or ceux-ci constituent des relais dans la transmission des influx nerveux au long du nerf optique entre la rétine et le cortex primaire occipital. Les auteurs en concluent à une anomalie du traitement visuel du mouvement, qui se rencontre en effet chez certains dyslexiques.
D’autre part, plusieurs études en imagerie fonctionnelle (dont Paulesu et al, 1996) utilisant conjointement la tomographie par émission de positons (PET) et la mesure des modifications des débits sanguins régionaux, ont pu mettre en évidence que le cerveau des dyslexiques ne traitait pas les sons de la langue de la même façon que celui des normo-lecteurs, par exemple, dans une tâche de jugement de rimes sur entrée visuelle. En particulier, on observerait, chez les premiers, une dysconnexion entre les régions postérieures du cerveau en charge de la reconnaissance visuelle des mots et les régions antérieures en charge de la segmentation des mots en unités phonologiques.
Dans le but de tester les théories cognitivistes présentées à la section suivante, des chercheurs tels que Rumsey et ses collaborateurs (1987) ont examiné, toujours en imagerie fonctionnelle, les structures cérébrales possiblement impliquées tout au cours du mécanisme de la lecture, en fonction de la complexité des mots (longueur, familiarité) et de leurs caractéristiques phonologiques. Rien ne leur permet encore toutefois de confirmer clairement l’existence de deux réseaux neuronaux indépendants correspondant à des procédures distinctes de lecture, tels que l’avancent les cognitivistes.