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Atteinte de la voie phonologique

Selon Estienne (1982), le passage par la voie phonologique exige du lecteur la transposition des caractères alphabétiques perçus visuellement en leurs correspondants linguistiques, ce qu’on nomme habituellement une conversion graphème – phonème. Pour accomplir celle-ci, le lecteur débutant doit avoir développé la conscience de la structure phonologique interne propre aux mots de la langue parlée. Chez le dyslexique, l’atteinte de cette habileté, qui semble effectivement confirmée par les recherches en imagerie fonctionnelle décrites précédemment, entraverait sa capacité à segmenter le mot écrit en ses constituants phonologiques, l’empêchant par le fait même d’avoir accès à des processus linguistiques d’un niveau plus évolué nécessaires à la compréhension de ce qu’il lit.

Certains auteurs, tels que Wimmer (1996) font même de cette atteinte un bon prédictif de dyslexie dès le niveau de la maternelle. Il s’agirait plus spécifiquement de déficits au niveau de l’analyse segmentale de la parole (notamment discrimination phonémique, jugement de similitudes entre rimes et capacité de suppression de phonèmes) et les recherches de Lacert et Sprenger (1997) ont démontré que ce déficit est nettement corrélé avec l’ampleur du trouble lexique.

Les travaux de Tallal et de ses collaborateurs (1996) suggèrent également la présence d’un trouble très spécifique de perception auditive chez ces enfants, en particulier pour les phonèmes dont l’articulation ne dure pas plus de 40 millisecondes (tels le b et le p dans les syllabes ba, pa…), comparativement à ceux dont l’articulation se prolonge souvent au-delà de 100 millisecondes (tels le m de ma)). Un allongement artificiel de la durée d’émission des sons brefs, avec l’aide de l’ordinateur, pourrait améliorer la discrimination de ces enfants, selon ses recherches.

À un dysfonctionnement marqué de cette voie phonologique correspond en effet ce que Boder a appelé une « dyslexie dysphonétique ». D’autres équivalents sont également retrouvés dans la littérature, tels une dyslexie « phonétique », « phonologique » ou même « linguistique ». Ces sujets ont en commun une faible appréhension de la relation lettre-son et utilisent donc majoritairement une stratégie de lecture par « adressage », où les mots sont reconnus à partir d’indices visuels parfois incomplets. Ainsi, comme dans les dyslexies « profondes » (acquises) de l’adulte cérébro-lésé, on peut identifier des erreurs dérivationnelles (le sujet lit berger pour bergerie par exemple ou école pour écolier) mais aussi à l’occasion des paraphasies sémantiques, (rivière pour ruisseau par exemple), où le décodage s’appuie fortement sur la voie sémantique identifiée par Seymour. L’utilisation du contexte se révèle maximale et plus le mot est familier, plus le lecteur aura de chances qu’il soit bien identifié. Inversement la lecture de pseudo-mots, devant nécessairement s’effectuer à travers une conversion rigoureuse graphème – phonème, se révèle souvent très fantaisiste, surtout lorsqu’il s’agit de polysyllabiques contenant des regroupements de consonnes complexes et peu usuels (tels bradisclatru).

Un autre déficit fréquemment rencontré chez ces dyslexiques toucherait l’attention et la mémoire auditivo-séquentielle s. Ces enfants présenteraient en effet un empan beaucoup plus faible que les enfants normaux en répétition de séries de chiffres ou de mots, surtout s’il s’agit de pseudo-mots polysyllabiques(Van Hout, 1994). Aucun déficit ne serait par contre identifié chez ces mêmes enfants dans des tâches similaires en modalité visuelle, confirmant la spécificité de leurs troubles dans la sphère langagière. Par ailleurs, ces difficultés sembleraient provenir d’une faiblesse de la mémoire de travail, nécessaire à la répétition subvocale des stimuli entendus, à travers ce que Baddeley (1986) nomme la « boucle articulatoire » ou le « système phonologique ». Ils sont aussi fréquemment mis en relation avec un déficit séquentiel qui touche notamment toute l’organisation. temporelle de ces enfants (Merzenich 1996).

Des troubles de nature proprement langagière ont également pu être identifiés et ils touchent spécifiquement la rapidité de dénomination d’images, surtout lorsqu’il s’agit de stimuli répétitifs. Ces constatations ont été faites particulièrement par Denkla et Rudel (1976) au moyen de leur test « Rapid automatized naming » ou RAN test et elles sont exposées dans un des chapitres de Van Hout (1994). Dans ces tâches où le sujet doit nommer le plus rapidement possible quatre séries de 50 items, présentées par catégories sémantiques (couleurs, lettres, objets, chiffres) les auteurs ont mis en évidence des temps de dénomination beaucoup plus lents chez les dyslexiques que chez les enfants normaux. De plus, leur groupe de dyslexiques apparaissait également beaucoup moins performant dans cette tâche que celui qui était constitué d’enfants en difficultés beaucoup plus générales d’apprentissage, dont l’âge de lecture s’approchait généralement de leur âge mental tel que dérivé à partir du WISC. Dans ce cas, la difficulté propre aux dyslexiques ne dépendrait ni de la vitesse d’articulation, ni de la connaissance du vocabulaire, ni de l’identification visuelle des stimuli mais bien de leur incapacité à accéder de façon automatique à l’image motrice des mots, nécessaire à leur dénomination rapide. Cette difficulté à acquérir des automatismes faisait d’ailleurs partie de la définition de Debray précédemment citée. Il est intéressant aussi de mentionner les travaux de Meyer et de ses collaaborateurs (1998), qui ont poursuivi une étude longitudinale sur trois groupes d’enfants de la maternelle à la 8ème année de scolarité . En rétrospective, ils ont pu constater que leur groupe d’enfants dyslexiques (qui ont continué de manifester un retard important dans la maîtrise de la lecture même après 8 ans de scolarité) avaient présenté des scores déficitaires à l’épreuve de Denkla, tant en 3ème qu’en 5ème et en 8ème année. En comparant par ailleurs les enfants « mauvais lecteurs » avec le groupe précédent, ils ont pu mettre en évidence que les troubles de segmentation phonologique étaient communs aux deux groupes d’enfants dès le début de leur scolarité, tandis que le déficit de dénomination rapide n’apparaissait statistiquement que chez les dyslexiques. Il n’y aurait donc pas de corrélation directe entre ces deux types de troubles mais l’absence de déficit au RAN test pourrait être le meilleur prédicteur de l’amélioration du décodage en lecture chez les élèves en difficultés de lecture au premier cycle du primaire.

Il reste enfin à rappeler qu’un certain nombre de dyslexiques (environ 50 % selon Habib et al, 1999) ont présenté dès l’enfance un retard d’acquisition du langage oral, ce qui leur permet de situer la dyslexie dans une sorte de continuum par rapport à la dysphasie comme le pense Estienne (1982). Cependant la grande majorité des dyslexiques ne sauraient être considérés également dysphasiques, leurs difficultés langagières demeurant assez subtiles, et découlant le plus souvent de leur trouble phonologique : le vocabulaire peut ainsi demeurer longtemps flou ou incertain surtout au niveau de polysyllabiques peu fréquents donc plus difficiles à mémoriser.

Chez le dyslexique plus âgé, par contre, il serait rarement possible d’en percevoir des indices, simplement au cours d’une entrevue préliminaire à l’examen lui-même. Bien au contraire, les sujets dyslexiques ont de façon générale des forces significatives au plan du raisonnement, du jugement critique et des capacités de synthèse et de conceptualisation en particulier, leur permettant l’accès aux cours universitaires, en dépit de leurs difficultés persistantes de décodage et de production écrite (Shaywitz 1996).

Par Francine Lussier, Ph. D. Neuropsychologue Directrice des activités cliniques et scientifiques au Centre de formation CENOP Inc. Professeure associée au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)

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