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Approche anatomo clinique ou localisationniste

Les causes neurologiques de la dyscalculie ont été beaucoup moins investiguées que dans la dysphasie ou la dyslexie parce qu’elle passe plus souvent inaperçue d’une part et que d’autre part les conséquences pour ceux qui en souffrent sont apparemment moins lourdes. Seron et Deloche (1994) donnent un bref aperçu historique des travaux effectués avant les années 1980, qui cherchaient surtout à mettre en évidence les corrélations anatomo-cliniques. Les troubles acquis du calcul observés chez les adultes cérébro-lésés avaient permis d’associer différentes habiletés à des sites lésionnels distinctifs. L’ensemble des données regroupées à partir de ces patients laissait supposer que la perte de la capacité de lire des chiffres isolés ou des nombres (alexie aphasique) résultait de lésions pariétales gauches ou bilatérales; les acalculies visuo-spatiales qui se manifestent par des erreurs liées au non-respect de la position et de l’ordre des chiffres les uns par rapport aux autres, souvent accompagnés d’une perte des représentations topographiques et d’une héminégligence, provenaient le plus souvent de lésions pariétales droites mais étaient quelquefois aussi retrouvées à gauche; l’anarithmétie qui se traduit par une incapacité d’effectuer les opérations arithmétiques affectant le calcul mental et le calcul écrit, se retrouvaient chez des patients ayant des lésions bilatérales, mais plus marquées à gauche. C’est aussi de cette période florissante sur les données anatomo-cliniques que date la mise en évidence du syndrome de Gerstman après une atteinte pariétale gauche, lequel comporte une association de quatre principaux symptômes : une acalculie, une dysgraphie, une désorientation droite/gauche et une agnosie digitale.

Un survol des recherches sur les troubles du calcul acquis chez les enfants a récemment été fait par Van Hout (1995). Plusieurs cas d’aphasie acquise chez l’enfant, suggérant de ce fait une atteinte d’hémisphère gauche, présentent des troubles arithmétiques concomitants. Par exemple, l’atteinte gauche se caractériserait par une altération de la production et de la reconnaissance des nombres; il y aurait alors des difficultés de séquenciation et de stockage des faits numériques dans la mémoire sémantique, c’est à dire des difficultés à retenir les tables (addition et soustraction). La rapide récupération du langage découlerait de son transfert à l’hémisphère droit avec limitation du développement normal ultérieur des fonctions sous-tendues par cet hémisphère, c’est-à-dire les fonctions visuo-spatiales. Après récupération de l’aphasie, les troubles d’apprentissage persistent surtout dans les mathématiques. Van Hout décrit également chez l’enfant un syndrome de Gerstman qui aurait été observé en maintes occasions : difficultés en lecture et en écriture de grands nombres (avec omission ou ajout de zéros), inversions de l’ordre des chiffres, alignement des nombres généralement défectueux dans les procédures ou algorithmes, confusions entre les signes des opérations et/ou mauvaise rétention des faits arithmétiques, auxquels s’associent une dysgraphie et une dysorthographie.

Van Hout relève cependant aussi quelques études qui démontrent une prédominance de troubles arithmétiques à la suite de lésions d’hémisphère droit qui se distinguent de ceux de l’hémisphère gauche. L’atteinte de l’hémisphère droit s’accompagnerait de difficultés dans la conceptualisation des quantités numériques, de difficultés dans le calcul mental obligeant les patients à utiliser des manipulations concrètes pour le comptage, de troubles visuo-spatiaux, d’un manque de coordination pour la main gauche avec une certaine préservation des compétences en lecture et écriture.

Reprenant les données cliniques de l’acalculie chez l’adulte, Badian (1983) définit quatre sous-types de dyscalculie chez l’enfant d’après la nature des erreurs dominantes. Dans l’acalculie développementale ou l’anarithmétie, l’enfant ne parvient pas à maîtriser suffisamment les algorithmes (les procédures ou la « mécanique ») des opérations mathématiques (addition, soustraction, multiplication et division). La dyscalculie spatiale touche les enfants qui ont de la difficulté dans l’agencement spatial des procédures et dans l’alignement de chiffres sous les bonnes colonnes de façon à respecter la valeur de position. L’alexie et l’agraphie pour les nombres se traduirait par une incapacité à dénommer et à écrire les nombres ; elle serait toutefois très rare chez l’enfant. Le plus grand nombre de cas est placé dans une quatrième catégorie que Badian appelle dyscalculie attentionnelle séquentielle; elle se retrouve chez les enfants qui ont de grandes difficultés dans l’apprentissage et la restitution des faits arithmétiques ; ces enfants font également de nombreuses fautes d’attention dans la séquentiation des différentes étapes des algorithmes. La classification de Badian qui s’appuie sur un modèle anatomo-clinique ne permet cependant pas de comprendre les mécanismes cognitifs sous-jacents qui sont défectueux chez les enfants qui présentent de telles difficultés en calcul ou en arithmétique.

Rourke et ses collaborateurs (1985, 1993) adoptent une autre démarche et tentent d’établir une taxonomie des troubles d’arithmétique à partir du rendement scolaire en lecture, en écriture et en arithmétique ; ils forment ainsi trois groupes d’enfants qui présentent des troubles d’apprentissage : un premier groupe d’enfants ayant des troubles dans toutes les matières, un deuxième groupe présentant de meilleures compétences en arithmétique qu’en lecture et en orthographe puis, un troisième groupe sans problèmes de lecture ni d’orthographe mais présentant des scores très faibles en arithmétique (au moins deux ans inférieurs à leur groupe d’âge). Rourke soumet ensuite ces enfants à une batterie neuropsychologique extensive incluant l’échelle de Weschler. Sur la base des résultats à cette batterie, il trouve dans le premier groupe une diminution globale à tous les sous-tests. Dans son deuxième groupe, les fonctions visuo-spatiales sont intactes mais il note une altération significative des fonctions verbales avec absence de supériorité de la main dominante suggérant globalement une atteinte d’hémisphère gauche. Finalement dans son troisième groupe, il décrit un profil opposé c’est à dire une altération des habiletés visuo-spatiales avec fonctions verbales préservées. Il trouve également des signes discrets à tout l’hémicorps gauche suggérant davantage une atteinte d’hémisphère droit.

Reprenant par la suite ses études sur de plus larges groupes, il développera le concept d’une nouvelle entité diagnostique qu’il appelera Non verbal learning disabilities alors que d’autres équipes, observant le même phénomène, conserveront l’appellation d’un syndrome d’hémisphère droit (voir la section suivante dans laquelle nous décrivons le syndrome de dysfonctions non verbales. Les travaux de Rourke auront donc permis de conclure que d’après les résultats obtenus à l’évaluation neuropsychologique, un certain nombre d’habiletés mathématiques relèveraient davantage de l’hémisphère gauche (son groupe 1) alors que d’autres seraient plus vraisemblablement imputables à l’hémisphère droit (son groupe 3).

Le déficit de langage (groupe 1) bien qu’affectant prioritairement la compréhension de lecture, serait aussi responsable des difficultés en mathématiques parce qu’il entraîne une difficulté de compréhension des énoncés et des problèmes de mémorisation des faits arithmétiques ou des algorithmes >. Par ailleurs, le déficit visuo-spatial (groupe 3) entraînerait des problèmes dans l’organisation spatiale des données numériques pour exécuter les algorithmes ou effectuer correctement les procédures (alignement défectueux des chiffres en colonnes, trouble du sens directionnel pour les opérations…). Ce même déficit entraînerait aussi des problèmes de lecture ou d’écriture (omission d’une décimale, chiffres mal formés…) et une altération du jugement et du raisonnement, avec difficultés de transfert d’une habileté acquise dans un type d’exercices à d’autres procédures similaires.

Étudiant des groupes d’enfants comparables à ceux de Rourke (groupe 1 à 3), Siegle et Linder (1984) démontrent un déficit de la mémoire à court terme chez des enfants qui présentent un trouble généralisé d’apprentissage ; ce déficit est objectivé par des tâches auditivo-verbales et visuo-verbales (présentation visuelle et orale de séries de lettres). Inversement, les enfants qui ne présentent que des troubles spécifiques en arithmétique n’avaient de déficits qu’avec le matériel visuel. Dans ce dernier cas, il est cependant possible que ce groupe d’enfants aient mieux répondu aux critères de dyscalculie attentionnelle séquentielle dans la classification de Badian et qu’il s’agisse en fait d’enfants dont les problèmes arithmétiques s’expliquent essentiellement par un déficit d’attention comme on le retrouve beaucoup en clinique.

Par Francine Lussier, Ph. D. Neuropsychologue Directrice des activités cliniques et scientifiques au Centre de formation CENOP Inc. Professeure associée au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)

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