Sémiologie et classification des dysphasies
En tant que neuropsychologues, il n’est ni de notre propos, ni de notre compétence (compétence que nous reconnaissons aux orthophonistes ou logopèdes) de classifier et de distinguer les types de dysphasies. Cependant, parce que l’évaluation neuropsychologique de l’enfant dysphasique s’effectue souvent en parallèle avec celle des orthophonistes, il est utile de reconnaître les signes et les symptômes pathognomoniques qui caractérisent les différentes formes de dysphasie et de connaître le vocabulaire qu’utilisent les orthophonistes. Bien que plusieurs classifications de la dysphasie aient été proposées (Ajurriaguerra et al., 1958; Benton, 1964; Bishop et Rosenbloom, 1987; Rapin et Allen, 1983; Tallal, Stark et Mellits, 1985), aucune d’entre elles ne fait encore consensus et n’a été adoptée sur le plan international.
Certains auteurs souhaitent y inclure tous les troubles de la communication y compris les troubles du spectre de l’autisme et l’autisme (Bishop, 1999), d’autres sont plus restrictifs (DSM IV, CIM 10, Rapin et Allen, 1983); certains voudraient utiliser des critères objectifs permettant d’établir un seuil sous lequel la fonction du langage chez un enfant serait significativement inférieure aux autres aspects de son développement même si celui-ci est affecté (Mazeau, 1997 ; Tallal et al., 1985), d’autres excluent d’emblée la déficience intellectuelle (CIM 10). Nous proposons ici la taxonomie de Rapin et Allen qui semble la plus utilisée par les chercheurs et les cliniciens aussi bien en France qu’au Québec. Leur classification s’appuie sur une approche neurolinguistique qui permet l’identification des pathologies par l’observation de symptômes 1) touchant les sons et leur organisation à l’intérieur des mots (phonologie); 2) se rapportant au vocabulaire de référence (lexique); 3) concernant les marques grammaticales modifiant les mots (morphologie); 4) se rapportant à l’organisation des mots dans la phrase (syntaxe); 5) donnant une signification aux mots du réel (sémantique); 6) permettant l’utilisation du langage comme instrument de communication de manière adaptée (pragmatique).
Les dysphasies sont classées selon Rapin et Allen en trois grandes catégories: 1) les difficultés mixtes (réceptives et expressives); 2) les difficultés principalement expressives; 3) les difficultés du traitement de l’information ou de l’organisation de la signification.
Les dysphasies de développement s’expliqueraient par un dysfonctionnement touchant l’une des chaînes de la communication. Malgré l’effort de systématisation pour classifier les dysphasies, certains cas cliniques n’y cadrent pas vraiment et il n’est pas rare de voir se modifier un diagnostic au cours du développement. Comme le soulignent si bien Échenne et Cheminal (1997), « l’essentiel des difficultés rencontrées dans l’étude de ces troubles est lié au caractère acquis et évolutif de la structuration du langage parlé… cette difficulté est accentuée par les variations individuelles touchant aussi bien l’âge d’apparition des premières compétences verbales que l’enrichissement du vocabulaire et l’acquisition de la syntaxe. La même variabilité dans le temps caractérise les phénomènes pathologiques : ce qui paraissait correspondre initialement à une dysphasie pourra s’avérer a posteriori un simple retard…, telle dysphasie de type phonologico-syntaxique s’avérera correspondre plus tard à un trouble de programmation phonologique » p.32. L’expérience clinique révèle d’ailleurs assez souvent que plusieurs enfants qui avaient reçu un diagnostic initial de dysphasie sémantique-pragmatique évoluent vers un diagnostic d’Asperger qui, paradoxalement, correspond à une dysfonction non verbale.